Merci à Foolish-Memory le cobaye de hamster innocent (oui ça veut rien dire) pour m'avoir supportée pendant l'écriture.
Et merci au cher Palier d'avoir bien voulu être mon fantasme personnel.
C'est la nuit.
Une nuit noire, chaude et moite, étouffante. L'air est lourd, charriant les senteurs pestilentielles des rues.
Doux fumet salé et poivré, légèrement écoeurant, assaisonné d'urines et d'excréments, ou autres odeurs plus ou moins respectables de ce quartier de Vienne.
Et doucement, Il, notre sujet, s'asphyxie. Il perd pied !
Son corps se tord sur les draps. Il a chaud. Terriblement trop chaud. Il sue de tous les pores de sa peau, il rejette loin de lui, par cette eau malodorante, un terrible péché.
Vivant et endormi ou mort et réveillé ?
Sa vie n'est plus qu'un cauchemar depuis qu'elle s'est en allée.
Vie faite désormais de débauche, enfermé comme il est dans son appartement luxueux au dessus d'un bordel.
Luxe ou luxure, pourquoi choisir alors qu'on a le pire ?
Même les jeux sensuels sous les draps ne l'attirent plus. Les plus belles catins – trop souvent vérolées, il ne faut pas se fier aux apparences – sont pour lui de fades poupées de chiffon sans grand attrait. Peaux trop grasses, trop rêches, blondes trop pulpeuses, rousses trop maigres et boiteuses, grandes perches aux dents manquantes ne sont que passades pour une nuit. L'amour durable et bien fait lui manque, le satin d'un corps qu'il n'aurait qu'à lui seul et qu'il ne devrait pas payer, un corps bien fait et doux au toucher. Un corps doué ...
Elles, elles ne sont que bêtes. Sales et soûles la plupart du temps.
Quelle belle tête elle a, la profession de prostituée !
L'époque y est pour quelque chose, sans doute ...
Lui qui a si souvent connu de belles divas qui s'offraient au cœur d'un salon de musique désert, robe de satin et de soie et parfum de lilas, plaisir rapide pour étreinte sans douceur, se faire oublier quelques instants pour jouir d'un amour éphémère derrière une tenture de Schönbrunn, lui qui a connu ça se retrouve maintenant réduit à palper quelque poitrine lui semblant satisfaisante pour calmer ses pulsions, à faire couler le sang de ces femmes juste pour se vautrer dedans, doux nectar rouge à souhait !
Alors sa vie, depuis qu'elle, elle est partie, se résume à l'alcool et aux bordels. Il a déserté sa Cour adorée, sa Cour de mélomanes sourds, cet endroit vide de sens où les faux-semblants courtisaient avec une élégance noble la restriction et le mensonge. Tout était affaire de masques dorés, de parures étincelantes et d'oripeaux farfelus et richement brodés. Et plus la lumière faisait éclater ces vêtements, plus le vice caché derrière était grand.
Oh, il ne regrette guère d'avoir vidé un appartement rempli de lambris de sournoiserie, froid comme le masque qu'il s'était composé.
Masque qui avait volé en éclat sous le regard de celle qui, il le savait, serait à jamais sa muse ...
Tout avait débuté, il s'en souvenait, par son arrivée à la Cour. Ami d'un jeune rouquin minaudant du nom de Gabriel Lucien D'Auber, il avait quitté le fin fond d'une Italie où son inspiration commençait à péricliter pour le faste et la musique des proches de Joseph II, l'empereur mélomane.
Il se souvient, il avait ... 16 ans. Cheveux éclatants de noirceur, retenus en un catogan rapide par un lien de cuir rapiécé menaçant de lâcher, yeux d'un terre de Sienne brûlée pigmenté ça et là de noir profond. Sa peau légèrement hâlée, à la lumière des candélabres, brillait doucement. Nous étions le 14 mars 1766. Il avait si fière allure ! Chemise de fine batiste au col brodé d'une dentelle pure. Une veste blanche, de velours immaculé dessinait chaque perfection de son torse. Un pantalon de cuir fin, lui aussi d'une candide blancheur, longues bottes de daim noir montant jusqu'aux genoux. Son sourire était impeccable et son regard se fixait sur tous les petites gens qui, bientôt, deviendraient son quotidien. Il se souvient avoir été frappé par l'éclat d'une chevelure qui se distinguait de toutes ces affreuses perruques, une nuit ambulante ...
Oh, bien sur, l'on pouvait être mauvais envers la mode des farineux, perroquets perruqués ... Pourtant, peu d'entre eux en portaient, encore ...
Et sûrement pas Gabriel. Pardi ! Le fou aux cheveux de feu n'aurait pas commis l'imprudence de voiler son brasier capillaire sous une perruque, allons !
Gabriel ... L'énergumène énergique qui avait fait de ses années de jeunesse un pur plaisir ! Il faut avouer que courir après les dames n'était pas de son genre ...
« Antonio ? C'est toi ? Vraiment ? » L'ardent lutin – Gabriel avait environ la taille d'un adolescent ayant cessé de grandir trop tôt, ce qu'il était – venait d'apparaître. Cheveux en bataille se mouvant dans la lumière des chandelles, tout de gris perle vêtu, démarche énergique et voix pétillante.
« Vraiment moi, répondit-il, distrait par la grâce de la robe qui accompagnait l'éclatant capillaire de nuit de tout à l'heure.
_ Vraiment vraiment ou tu es un jumeau caché qui est là pour espionner ? »
Antonio, puisque tel est son nom, soupira. Bêtise cachée sous cette innocente candeur ! Seigneur, que la vie est peuplée de faux-semblants !
« Gabriel, si je dis que c'est moi, c'est moi.
_ Ton nom et celui de la première femme passée dans mon lit ? »
Là, il se fichait complètement de lui. Lui, une femme ? Et puis quoi encore ?
« Mon nom est Antonio Salieri et la première personne ...
_ Femme, le coupa-t-il. Femme.
_ ... Personne, reprit le ténébreux arrivant, fut Julian. »
Un éclat de rire secoua une jeune femme qui s'était approchée et accrochée au bras de Gabriel. En détaillant sa tenue et sa posture, notre italien découvrit rapidement qu'il s'agissait de la nuit ambulante de tout à l'heure. Drapée dans une robe de satin blanche et pure. Mille diamants étincelaient sur le bord du corset à encolure carrée où son regard, avouons-le, s'égara quelques petites secondes. Une taille fine, brodée d'arabesques d'argent qui se poursuivaient sur une jupe blanche et vaporeuse s'ouvrant en manteau sur une autre argentée qui elle aussi s'ouvrait pour montrer la dernière, du plus beau blanc qu'il soit. Immaculé comme le nuage qui flâne dans le ciel, comme la neige qui vient de tomber, comme le teint de la jouvencelle au bras de son ami ! L'on devinait sans peine les silhouettes des jambes, fines et longues, sans doute de la même pâleur irréelle que le reste du corps.
« Dame, fit-il en s'inclinant, à qui ai-je l'honneur ?
_ La reine de la fête, sourit-elle, d'une voix aussi parfaite que l'était ses formes. Elina ...
_ Ma sœur, coupa Gabriel, aussi rouge que sa toison. »
Celle-ci, cette demoiselle d'Auber, planta ses yeux dans ceux, stupéfaits, de Salieri, qui put à loisir contempler le doux iris nuancé de violet, parme et mauve, se noyant de sombre aux abords de la pupille noire profonde. Doux regard améthyste qui scrutait le visage du jeune homme. Regard de braise également planté dans la glace d'un visage trop blanc pour être réel, aux alentours d'une bouche délicatement rose pâle rehaussée d'un peu de carmin ...
Retour au présent. Il se meurt. Souvenirs qui défilent dans sa tête. Comment, pourquoi, où ?!
Elina ...
Elina ...
Il sombre dans l'inconscience, noyé sous les vapeurs fétides qui montent du bordel.
Août 1766. 5 mois qu'il est avec la Cour ... Et bien à la Cour.
Gabriel. Son ami. Un futile courtisan. Courtisan qui court plus après d'autres que après les bonnes grâces de l'Empereur.
Antonio est assis sous un arbre. Plume à la main. Papier à musique à portée. Il écoute la nature chanter. Et tente d'y transcrire.
Ce qu'il tient surtout à écrire, c'est le sentiment qui l'emporte alors que vient s'asseoir à son côté Elina.
Sa muse.
Oui, sa muse. Il ne compose que pour Elle. Pour espérer qu'un jour elle comprendra ce qu'il joue pour Elle, chaque soir, seul dans sa chambre. La musique.
Mais il n'a jamais demandé si elle y connaissait quelques choses à la musique. Et n'ose pas.
Alors il compose, tandis qu'elle le regarde.
Perdu dans ses pensées, il sursaute quand elle lui dit :
« Un si bémol, non ?
_ Que ? »
Rire de la Beauté en personne.
« En tentant de décrire le coulis de la rivière en face de nous, la note ici, fait-elle en la désignant, serait plus un si bémol. Ecoutez. »
Elle fredonne facilement l'air composé. Trop facilement peut-être, puis le reprends avec la modification.
Sa voix, délicieux petit papillon de satin qui charme les oreilles endurcies, volette et coule, glisse, tel l'eau que le ténébreux italien, en vain et sans cette note, tentait de décrire.
« Mieux, non ?
_ Comment avez-vous su ? »
Nouveau rire.
« Penseriez-vous être le seul musicien ?
_ "je n'ai que la prétention de pouvoir faire partie de cette élite, sourit-il.
_ Une élite ... »
La jeune duchesse, car duchesse elle est, stoppe son regard d'améthyste sur la chemise négligemment ouverte de notre musicien. Elle rougit doucement. Il ne capte guère son regard ... Focalisé sur les lèvres, le charme qui se dégage de ce corps ...
En lui, pourtant, une petite voix s'élève, protestant :
« Eh oh, Antonio, c'est une gamine de treize ans ! »
Treize ...
Peu importe !
Il l'aurait, tôt ou tard ...
Muse musicienne, danseuse de fantasmes inassouvis, elle deviendrait bientôt plante grimpante qui s'accrocherait à lui ... Enroulée tout autour.
Eclair de lumière.
Il se voit au palais, il a 18 ans. Deux ans plus tard. Suivi par cet abruti de Rosenberg, il va à travers les couloirs, tout de noir vêtu, ténébreux aux cheveux de jais, mains fines dont les longs doigts ont passé des heures à pianoter à clavecin ou à tenir l'archet pour quelque mélopée dont il a le secret, démarche rapide, fière et audacieuse. Toutes les dames, sur son passage se retournent, se pâment et lui lancent des regards suggestifs.
Lui, il les ignore, royalement. La seule qu'il désire a quinze ans, ce même jour de mars.
Celle qui a déserté cette Cour où il se complait à paraître.
« Vous me semblez bien penseur, mon cher Salieri ...
_ C'est que, monsieur l'intendant Rosenberg, votre nouvelle canne me fait perdre la tête ...
_ Continuez, et vous allez la sentir vous caresser les tibias, soupira-t-il. Mon ami ... »
L'italien retient un ricanement. Et puis quoi encore ?
« ... Besoin de vous marier.
_ Hein ... Je veux dire comment ?
_ Vous voilà sourd, siffla le comte, moqueur. Je disais que en voyant toutes ces dames, je ne voyais pas comment vous pouviez préférer votre petite clique de marteleur de touches d'ivoire à des femmes. Ce qui me prouve que vous avez besoin de. Vous. Marieeer, répéta-t-il comme à un enfant inconscient. La duchesse de Parme, par exemple ...
_ Rosenberg, le coupa-t-il. Je n'ai pas besoin d'une femme. Toutes celles-ci, dit notre cher compositeur en écartant les bras, me suffisent. »
Gloussements des poules autour.
« Arrêtez donc de vous amuser ainsi.
_ ANTONIOOOOOO ! »
Un cri. Une chevelure rousse. Gabriel ? Alors que sa mus ... Sa petite sœur était sensée s'être retirée d'ici depuis deux ans ?
L'interpellé eut à peine le temps de se préparer que un tornade incandescente lui fonçait dessus et lui secouait le bras de haut en bas.
« Si heureux de te revoir enfiiiiiin ! Si content content content !
_ Gabriel, il y a des gens autour, souffla-t-il. »
Le petit démon prend – trop tard ? – conscience des gens.
« Ah euh ... Oui, j'avais pas remarqué, s'cuse. »
Une sorte de rire étouffé mâtiné avec un grognement d'adolescent en train de muer s'échappe des lèvres de ...
Bon dieu, Rosenberg, pour un peu on l'aurait oublié.
« Gabriel, cher ... Enfant ... Comment allez-vous ?
_ Oh ... Rosenberg, dit le jeune homme au regard du bleu du ciel. Aussi bien que la nuit où je vous ai vu sortir de la chambre de ma mère, sourit-il ironiquement.
_ Hum ... Pouvons nous reprendre cette conversation ... Légèrement ... Ailleurs ? »
Le rouge aux joues dans son costume grenat, il suait à grosses gouttes qui faisaient glisser à chaque instant un peu plus ses binocles du nez.
Salieri ne peut retenir un éclat de rire, et entraîne à sa suite le jeune rouquin qui n'a, décidément, d'archange que le nom.
Celui-ci, hilare, le suit sans aucune histoire. Il n'a rien inventé. La vie est telle qu'il la décrit, lui qui si facilement se met les hommes de son coté a décidé de faire de celui-ci une sorte d'ennemi.
Ce qui tombe bien car il paraît qu'il ne supporterait pas le vice italien et en aurait une sainte horreur ...
Bref, un ennemi tout à fait respectable, un vieux fou déglingué faisant encore rêver quelques dames au sein de la Cour et dans les alentours de Vienne.
Ils se stoppent dans un coin reculé du château, en réfection. Se posent dans deux fauteuils défoncés, installées ici par eux-mêmes il y a plusieurs années. Un de velours rouge fané, et un autre noir, pieds striés de grandes balafres, faites au fil du temps. L'aile nord est, en ce 14 mars, inhospitalière. D'où le choix du lieu. Aucun courtisan sensé ne viendrait se perdre ici.
Bien calés, Antonio croise ses jambes et observe le frère de son idylle secrète.
« Alors ? Le cadeau ? Il lui a plu ? S'inquiète-t-il.
_ Plus que tu ne le penseras jamais ! Elle le porte jour et nuit, et nous casse AUSSI les oreilles, jour et nuit. Bon dieu, pourquoi lui avoir envoyé une partition ?!
_ Elle sait jouer ... ? »
Soupir fatigué de Gabriel.
« Evidemment ! Evidemment ... Serais tu sourd et aveugle ? A chaque fête, chaque occasion qu'a l'empereur de sortir les musiciens, elle est là. En vedette, quasiment ! ... Et toi, tu ne la vois pas ...
_ Elle ne m'en a jamais parlé, réalise, dépité, l'italien.
_ Elle t'a déjà parlé, au moins ? »
Le rouquin s'esclaffe, et se reçoit un coup de pied dans le tibia.
« Evidemment, abruti.
_ C'est toi l'abruti. Tu aimes ma sœur, quand même. Après tout ce qu'on a fait ensemble ...
_ Par pitié, on était jeunes ! Gaby ... On était bourrés, en Italie et on venait de piquer une tête dans la mer à minuit ... Tout habillés je précise.
_ Mais mêmeuuuh !
_ C'était une nuit ... »
Oui, une nuit en effet ... À la faveur d'une soirée de beuverie dans une taverne au bord de la mer dans le « talon » de l'Italie, ils avaient connu une soirée des plus mouvementées et exploré ensemble ce qui a si souvent été surnommé le vice italien.
Eclair de lumière, les mots et les bruits se confondent ...
Retour à une conscience qu'à tout jamais il souhaiterait perdre. Un esprit torturé dans un corps d'éphèbe, ce même Antonio, le 14 mars 1779, souffre. Une âme depuis trop longtemps déjà dévorée par les flammes d'une culpabilité. 6 ans partis en fumée. Il ne vit plus que pour l'odeur étouffante qui le ligote, tel ses draps. La sueur dégouline, trempe son front. Il gémit, voudrait mourir ou au moins dormir, d'un sommeil sans un seul rêve.
Mais il ne peut. Alors ... Tenter l'impossible. Il ferme les yeux. Fait le calme dans sa tête. Ne pense plus à Son départ.
Oublie tout.
Juste devant son regard clos, dans son esprit, un seul souvenir s'impose de lui-même. Il veut rêver. Peut importe de quoi, seulement rêver, un peu.
Alors il s'engouffre dans cette pièce sombre qui l'appelle.
Nous étions le 21 décembre. A quelques jours de Noël, il venait de passer la semaine dans la résidence viennoise de Gabriel, et la neige tombant drue le dissuadait d'en repartir.
Il était installé au piano, il se souvient, vêtu d'une chemise et d'un pantalon de toile simples, naturels. Tout comme ses cheveux mi-longs qui faisaient honte à la nuit étaient lâchés, sa musique s'envolait et batifolait dans tout l'étage. Il jouait sans vraiment chercher une harmonie, jouait pour un amour qu'il ne transcrivait pas.
C'était un de ces moments hors du temps, où le seul mot que l'on voudrait entendre serait notre nom prononcé de la douce voix d'un être aimé ...
« An ... Sieur ? »
Elle ! Elle était là !
Sa diva, celle dont le Sieur rêvait chaque jour, chaque nuit, dont l'écho de sa voix le hante même dans ces rêves éveillés que l'on nomme fantasmes, elle, sa douce et tendre qu'il n'avouera jamais aimer, se trouvait à son coté !
Elle portait ... Non elle voilait à peine son corps dans un tissu blanc. Robe, sans doute, mais Il ne pouvait détacher les yeux de la splendide femme qu'en seulement trois ans depuis leur première rencontre elle était devenue. Elle avait seize ans et en paraissait vingt.
« Damoiselle ?
_ Nommez-moi Elina, sourit l'apparition. Et vous, vous êtes ... Antonio, il me semble ?
_ En effet.
_ Puis-je ... Enfin ... Disons que j'ai l'audace de vous demander ...
_ Oui, avança-t-il, désireux de savoir la suite, quoi donc ?
_ Si vous accepteriez que nous jouions à quatre mains, fit-elle en rougissant et baissant son regard améthyste. »
Pour toute réponse, notre italien lui saisit la main, peut-être avec un peu trop de tendresse, que la demi déesse perçut sans doute, et la laissa s'installer à son coté.
Doucement, leurs mains se mirent à courir sur les touches d'ivoire, font naître une mélodie douce et engageante, ode à une beauté perdue et à celle qui est devant ses yeux. Et leurs mains s'entremêlent un instant. Et achèvent la composition ainsi. Mêlés.
Ils n'avaient aucune envie de se lâcher, et puis à quoi bon ? La pièce était froide ... Et si il ne pouvait pas l'avoir entièrement pour l'instant, leurs deux mains jointes promettaient à Salieri une étreinte plus charnelle ... Un jour ou l'autre. Il le savait et le sentait.
Elle serait sienne tôt ou tard ... Même si cette nuit serait l'idéal.
Il l'imaginait déjà dans ses bras, sous les draps d'un blanc parfait, harmonisant souffles et mouvements, lèvres soudées ...
Bon, pour le coup du baiser qu'il comptait lui donner, elle venait de prendre de l'avance.
C'était ... Mieux que tout ce qu'il avait pu imaginer ou ressentir jusque là. La douceur de lèvres encore non violées, pures et vierges de toute trace vile. Il goûtait une extase, comme un doux frisson interdit qui s'insinuait lentement en lui pour lui faire perdre la raison. C'était la musique, presque, qui unissait leurs lèvres.
Car, il le comprit plus tard, elle était musique. Elle aimait plus la musique qui habitait en lui que lui. Peut importait, pourtant, en ce moment, car enfin elle était à lui et à lui seul.
Deux corps entremêlés roulent à terre, folie de jeunesse.
Dévorés l'un et l'autre par la bouche tant espérée, rêvée dans une nuit sans lune.
Mais vite ! Quelqu'un vient.
Alors ceux qui, un instant auparavant, ne voulaient plus faire qu'un, se séparent et rectifient les vêtements qui ont glissé, dévoilant ça et là parcelles alléchantes du corps de l'autre.
« Antonio ? Dépêche toi, enfin ! Tu le sais, l'on doit aller porter ... Enfin tu tenais à voir je sais plus qui au palais pour je sais même plus quoi, fait Gabriel en entrant, énervé. Tiens Eli, t'es là ? Il est passé te voir ... Donc, les enfants, désolé mais vous allez tout deux ... »
Réveil en sursaut. Retour dans cette réalité. Le jour c'est levé. Le soleil brille, les gémissements des chambres en dessous également. Antonio se lève aux aurores. Il a pleuré en dormant.
Il a vécu en dormant. Il L'a vue en dormant.
Ce qui lui apporte un ultime réconfort. Ainsi, au moins une fois dans sa vie, on l'a aimé ...
Il aura beau avoir tué sa belle-famille, avant elle l'aimait.
Avant ...
Si elle l'aimait avant, elle peut l'aimer après.
Après qu'il change pour redevenir l'avant qu'elle aimait tant. Alors, d'un geste nonchalant il entaille son bras, sort sa plume, la trempe dans l'encre sanglante et ajoute une date de plus dans le grand livret qui se trouve sur son bureau.
Les plaies de son cœur lentement se referment lorsqu'il contemple les dates.
Une nuit de survécue, encore ... Et un rêve.
Il sait que la douleur bientôt partira à tout jamais.
Il la sent déjà se rétracter, loin de lui, très loin ...
Et sait qu'il est temps pour lui de retourner chez les masqués. Alors, tel un veuf il enfile une tenue du noir le plus intense, voile son visage d'une mèche rebelle et va.
Retourne vers la lumière ...
J'aime pas comment je termine ce texte ^.^